Pièce n° 10 : Pierre musicale
- DIFFUSION DE STELES (1)
- EXTRAITS SONORES (3)
- LE COMPOSITEUR (1)
- LE POETE (1)
- LES INTERPRETES (4)
- PRESENTATION PAR LE COMPOSITEUR (1)
- PROGRAMME MUSICAL (1)
PROGRAMME MUSICAL
STÈLES FACE AU MIDI
1. PRÉLUDE.
Bols rins, piano
2. SANS MARQUE DE RÈGNE.
Récitant, cor de basset, kulingtang
Les derniers mots du poème expriment l’esthétique de l’auteur.
La poésie est l’exploration du soi.
Le transfert de l’Empire de Chine à l’Empire du soi-même est constant,
écrit Segalen à Henry Manceron.
3. LES TROIS HYMNES PRIMITIFS.
Les lacs. L’abîme. Nuées.
Soprano, piano
Ces hymnes effacées de toutes les mémoires ont été recomposées par le poète,
comme une reconstitution dans l’imaginaire.
4. SUR UN HÔTE DOUTEUX
Récitant
Segalen entretien là une relation ambiguë entre christianisme et bouddhisme.
Ce dernier lui sert à dénigrer l’autre.
5. VISION PIEUSE
Soprano
Description ironique d’un miracle. Certainement au Tibet.
6. ÉDIT FUNÉRAIRE
Récitant
Inspiré par les tombeaux des Ming. Climat de paisible résignation.
La mort est fort habitable.
STÈLES FACE AU NORD
7. MIROIRS
Soprano, clarinette
L’ami apparaît ici comme un révélateur du moi profond. (Henry Bouillier)
8. VAMPIRE
Récitant
Un paroxysme de l’amitié. (H.B.)
9. TRAHISON FIDÈLE
Soprano, cymbales chinoises, piano
Amitié et musique s’entrelacent.
STÈLES ORIENTÉES
10. PIERRE MUSICALE
Récitant, petite clarinette, kulingtang
Inspirée d’une légende chinoise, le poème est volontairement obscur. Amour et musique sont inextricablement mêlés. (H.B.)
ECOUTEZ L'EXTRAIT ICI
11. MON AMANTE A LES VERTUS DE L’EAU
Soprano, récitante, bâton de pluie
Poème d’amour imprégné d’amertume. (H.B.)
ECOUTEZ L'EXTRAIT ICI.
12. STÈLE AU DÉSIR
Soprano, bols rins chantants
Le sujet du poème est surtout de mettre en valeur le pouvoir imaginant. (H.B.)
STÈLES OCCIDENTÉES
13. LIBATION MONGOLE
Récitant, cor de basset, piano, tambour lakota
…est un hommage à l’héroïsme et à la violence.
Le culte de l’énergie nietzschéenne domine cette section. (H.B.)
14. ÉCRIT AVEC DU SANG
Récitant, cor de basset, piano, tambour lakota
Encore une exaltation de l’héroïsme et de la fidélité au Prince. (H.B.)
15. HYMNE AU DRAGON COUCHÉ
Récitant, soprano
Type même du poème allégorique, c’est un appel à la brûlure de l’esprit. (H.B.)
16. ORDRE AU SOLEIL
Soprano, cor de basset, kulingtang, piano
… fugacité du bonheur. Le poème fixe cette joie provisoire qu’il déplore de ne pouvoir retenir. (H.B.)
17. INTERLUDE
Piano
STÈLES DU BORD DU CHEMIN
18. STÈLE DES PLEURS
Soprano, bols rins
Il s’agit probablement d’une Stèle commémorant le malheur d’un eunuque. (H.B.)
STÈLES POSTHUMES
19. L’IMPÉRATRICE CHANTE
Soprano, piano, 2 pianos-toys
L’Empereur Kouang-tsong (12è siècle) aima les mains d’une suivante.
L’Impératrice Li les offrit à son Maître. Poème resté longtemps inédit.
Segalen le trouvait lui-même d’une cruauté un peu trop complaisante. (H.B.)
STÈLES DU MILIEU
20. CHAR EMPORTÉ
Récitant, piano
Ce poème illustre une fois de plus le transfert de l’Empire de Chine à l’empire de soi. La course rapide des cavales d’abord lucide finit par mener aux confins du délire et de l’inconnu. (H.B.)
21. NOM CACHÉ
Soprano, clarinette, piano, bols rins, kulingtang, cymbales chinoises, sonnailles, gongs d’opéra chinois
Ce très beau poème est le dernier du recueil, comme s’il devait servir de conclusion à l’enquête intérieure de « Stèles »… le Nom caché recouvre en effet la réalité ontologique suprême que Segalen appelle l’être à la fin d’Équipée. (H.B.)
ECOUTEZ L'EXTRAIT ICI
22. POSTLUDE
Soprano, clarinette, piano, bols rins, kulingtang, cymbales chinoises, sonnailles, gongs d’opéra chinois
VICTOR SEGALEN
1878 Naissance à Brest
1898 Ecole de médecine navale de Bordeaux rencontre Huysmans, Saint-Pol Roux
1902-03 Séjour en Polynésie. Visite la demeure de Gauguin trois mois après la mort du peintre. Voyages à Java et Ceylan.
1906 Communique un projet d’opéra Siddhârta à Debussy qui décèle une ressemblance du livret avec Parsifal et préfère l’idée d’un Orphée-Roi que le poète écrira plus tard. Debussy ne le mettra jamais en musique
1907 Publication des Immémoriaux, inspirés par l’agonie de la culture maorie
1908 Apprend la langue chinoise
1909 Missions archéologiques en Chine. Y rencontre Claudel
1912 Publications de Stèles à Pékin
1914 Retour en France
1916 Publication de Peintures
1917 Nouvelle mission archéologique en Chine
1918 Retour à Brest, en poste à l’hôpital militaire
1919 Mort dans la forêt de Huelgoat.
Pour Segalen, l’exotisme ne signifie nullement les menues bizarreries d’un dépaysement pittoresque. L’exotisme, c’est l’esthétique du divers, c’est la présence visible de tout ce qui est Autre, c’est le profond désir de tout ce qui n’est pas soi… Segalen n’est pas et ne sera jamais un poète populaire. Son œuvre est vigoureuse, assez hautaine, totalement étrangère à l’anecdote, à la confidence, à l’effusion sentimentale, très claire et très grisante cependant.
Kléber Haedens
1898 Ecole de médecine navale de Bordeaux rencontre Huysmans, Saint-Pol Roux
1902-03 Séjour en Polynésie. Visite la demeure de Gauguin trois mois après la mort du peintre. Voyages à Java et Ceylan.
1906 Communique un projet d’opéra Siddhârta à Debussy qui décèle une ressemblance du livret avec Parsifal et préfère l’idée d’un Orphée-Roi que le poète écrira plus tard. Debussy ne le mettra jamais en musique
1907 Publication des Immémoriaux, inspirés par l’agonie de la culture maorie
1908 Apprend la langue chinoise
1909 Missions archéologiques en Chine. Y rencontre Claudel
1912 Publications de Stèles à Pékin
1914 Retour en France
1916 Publication de Peintures
1917 Nouvelle mission archéologique en Chine
1918 Retour à Brest, en poste à l’hôpital militaire
1919 Mort dans la forêt de Huelgoat.
Pour Segalen, l’exotisme ne signifie nullement les menues bizarreries d’un dépaysement pittoresque. L’exotisme, c’est l’esthétique du divers, c’est la présence visible de tout ce qui est Autre, c’est le profond désir de tout ce qui n’est pas soi… Segalen n’est pas et ne sera jamais un poète populaire. Son œuvre est vigoureuse, assez hautaine, totalement étrangère à l’anecdote, à la confidence, à l’effusion sentimentale, très claire et très grisante cependant.
Kléber Haedens
LES INTERPRETES
Avec
Marie-Madeleine Koebelé, soprano
Détlef Kieffer, récitant/piano toy/percussions orientales
Denis Tempo, petite clarinette/clarinette sib/cor de basset/piano toy
Anne-Catherine Kaiser, piano, récitante
Détlef Kieffer, récitant/piano toy/percussions orientales
Denis Tempo, petite clarinette/clarinette sib/cor de basset/piano toy
Anne-Catherine Kaiser, piano, récitante
ANNE-CATHERINE KAISER
Après des études de piano, de musique de chambre, d’accompagnement et d’écriture au Conservatoire de Strasbourg, elle se spécialise dans l’accompagnement de chanteurs et d’instrumentistes. Actuellement, pianiste accompagnatrice au Conservatoire de Strasbourg, chef de chant à l’ESAD/TNS pour la promotion n° 35, elle dirige également du piano le projet Kurt Weill : Berlin, Paris, Broadway pour l’atelier Performing Arts du CNR. Intéressée par la musique scénique et le théâtre, elle participe à de nombreux concerts et récitals lyriques.
DENIS TEMPO
Après des études au CNR de Nancy, il se perfectionne à Strasbourg avec Armand Angster. Intéressé par la diversité des langages musicaux, il collabore à de nombreux ensembles et projets, Studio 111, Accroche-Note, Orja, Opéra du Rhin, Vorwarts, musique de chambre… Il poursuit un travail sur le répertoire du XVIIIe siècle avec le clavecin. Titulaire du CA, il est régulièrement sollicité pour des formations pédagogiques et enseigne la clarinette au CNR de Strasbourg.
MARIE-MADELEINE KOEBELE
est née à Strasbourg où elle a poursuivi ses études musicales au CNR, obtenant une médaille d’or de chant, de flûte traversière, de musique de chambre, ainsi que le diplôme du département de musique ancienne. Elle est également diplômée de l’Académie Royale de Londres et de l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Ses goûts musicaux l’amènent à se produire tant en France qu’à l’étranger, comme soliste au sein de diverses formations. Dans un répertoire baroque, elle s’est produite avec le Parlement de Musique, Arcadia, La Messinoise ; dans un répertoire contemporain, elle a chanté avec l’ensemble Accroche-Note pour de nombreux festivals tels que Musica, Evreux, Caen, Radio France, Villeneuve-les-Avignon et Marseille. Sa curiosité musicale l’a amené à participer à des créations mondiales de Pascal Dusapin, Denis Cohen, Brice Pauset et Détlef Kieffer. Elle est actuellement professeur de chant au CNR de Strasbourg.
DETLEF KIEFFER
est né en 1944. Il décide de se consacrer à la musique à l’âge de 16 ans après avoir entendu le Marteau sans maître de Pierre Boulez. A 20 ans, il fait partie des Percussions de Strasbourg et participe à toutes les grandes tournées internationales, ainsi qu’aux enregistrements discographiques. En 1973, Alain Lombard fait appel à lui pour intégrer le pupitre de percussion de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Il fait également une carrière au cymbalum et se produit entre autres à la Scala de Milan, avec l’Ensemble InterContemporain, avec l’Orchestre National de France…
La direction d’orchestre devient rapidement une activité très importante dans sa carrière. Il dirige, comme chef invité, plusieurs formations symphoniques et de chambre en Europe. En 1984, il est nommé directeur musical de l’Orchestre de Chambre d’Auvergne. Son interprétation discographique de Pierrot Lunaire de Schoenberg a été saluée unanimement tant en France qu’à l’étranger.
Pendant de nombreuses années, à la tête de son ensemble instrumental Studio 111 de Strasbourg, il anime la vie musicale en Alsace en donnant de nombreuses créations et des premières auditions de grands classiques du 20ième siècle. Cette activité le conduit à participer à la création du Festival Musica.
Professeur au Conservatoire National de Région de Strasbourg, il y enseigne pendant plus de 25 ans la musique de chambre, le cymbalum, puis la direction d’orchestre. Il a créé l’Orchestre d’harmonie du Conservatoire. Il a également enseigné la composition au Centre de Formation de Musiciens Intervenants (CFMI) de l’Université Marc Bloch. Il arrête ses activités pédagogiques en 2005 pour se consacrer entièrement à la composition et à l’écriture.
La composition est sa passion dès son adolescence et c’est déjà à l’âge de 25 ans qu’il obtient sa première commande d’Etat. Son catalogue comprend une centaine d’œuvres avec des effectifs très variés : des oratorios, une messe, 5 symphonies, de la musique électroacoustique (UrRequiem). Son œuvre pour flûte seule, Clameurs vient d’être créée en Chine par Sandrine François et la première de son Concerto pour cymbalum et orchestre a été récemment donnée par Cyril Dupuy en Autriche.
Il prépare actuellement un opéra virtuel d'après le Jardin des supplices et un oratorio, l'Horloge de Sapience.
Poète et essayiste, il est l’auteur de nombreux écrits en particulier d’un livre l’Ange Sombre (éditions européennes de l’Avant Mur, Paris) Il s’intéresse à la forme musicale du mélodrame qu’il pratique également comme récitant.
Lauréat de la Fondation Goethe (promotion Robert Minder), Détlef Kieffer a été promu, en 1999 Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres pour son activité de musicien, de professeur et de poète.
Il fait également une carrière au cymbalum et se produit entre autres à la Scala de Milan, avec l’Ensemble InterContemporain, avec l’Orchestre National de France…
La direction d’orchestre devient rapidement une activité très importante dans sa carrière. Il dirige, comme chef invité, plusieurs formations symphoniques et de chambre en Europe. En 1984, il est nommé directeur musical de l’Orchestre de Chambre d’Auvergne. Son interprétation discographique de Pierrot Lunaire de Schoenberg a été saluée unanimement tant en France qu’à l’étranger.
Pendant de nombreuses années, à la tête de son ensemble instrumental Studio 111 de Strasbourg, il anime la vie musicale en Alsace en donnant de nombreuses créations et des premières auditions de grands classiques du 20ième siècle. Cette activité le conduit à participer à la création du Festival Musica.
Professeur au Conservatoire National de Région de Strasbourg, il y enseigne pendant plus de 25 ans la musique de chambre, le cymbalum, puis la direction d’orchestre. Il a créé l’Orchestre d’harmonie du Conservatoire. Il a également enseigné la composition au Centre de Formation de Musiciens Intervenants (CFMI) de l’Université Marc Bloch. Il arrête ses activités pédagogiques en 2005 pour se consacrer entièrement à la composition et à l’écriture.
La composition est sa passion dès son adolescence et c’est déjà à l’âge de 25 ans qu’il obtient sa première commande d’Etat. Son catalogue comprend une centaine d’œuvres avec des effectifs très variés : des oratorios, une messe, 5 symphonies, de la musique électroacoustique (UrRequiem). Son œuvre pour flûte seule, Clameurs vient d’être créée en Chine par Sandrine François et la première de son Concerto pour cymbalum et orchestre a été récemment donnée par Cyril Dupuy en Autriche.
Il prépare actuellement un opéra virtuel d'après le Jardin des supplices et un oratorio, l'Horloge de Sapience.
Poète et essayiste, il est l’auteur de nombreux écrits en particulier d’un livre l’Ange Sombre (éditions européennes de l’Avant Mur, Paris) Il s’intéresse à la forme musicale du mélodrame qu’il pratique également comme récitant.
Lauréat de la Fondation Goethe (promotion Robert Minder), Détlef Kieffer a été promu, en 1999 Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres pour son activité de musicien, de professeur et de poète.
L’Exote me mène je ne sais plus où…
Le désir de composer une musique pour Stèles me taraude depuis longtemps.
L’indicible, l’inouï, la pureté des notions mis en mots par Segalen résonnaient en moi tout en m’exilant.
A la lecture, à la manducation même, ce sentiment de glisser, éperdument: la préhension d’un poème, un jour. Le lendemain, il se dérobe, il glisse, me mène ailleurs, me laissant un peu de glèbe et ainsi de suite, comme une mise en abîme : la Licorne me mène je ne sais plus où… Arrêter cette fuite, lui donner une fin en offrant au texte peau et chair ? Les mots prenant le risque de la parole incarnée ?
Curieusement, le projet s’est inscrit dans ma période chinoise : création récente de Clameurs à Hongkong, Pékin et Shanghai, un projet d’opéra sur Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau. Mais pour Segalen, comme pour Mirbeau, la Chine est allégorie. De la société pour l’un, de l’Empire de soi pour l’autre.
Les Stèles n’apparaissant chinoises qu’au lecteur pressé.
Et Segalen inventa ce mot : l’Exote. Lui qui détestait l’exotisme et ses facilités vulgaires avait, par ce néologisme, coagulé le sens de sa démarche créatrice : l’Altérité est ontologiquement Divers.
C’est l’Exote qui m’affranchit de l’affirmation du poète : … ne réclament point la voix ou la musique. (mais on connaît l’interdiction, maintes fois transgressée, de Hugo : défense de déposer de la musique le long de mes vers !)
Avant moi, Migot, Ibert, Tansman, Hersant avaient déposé de la musique le long de… quelques fragments de Stèles. Segalen, qui avait eu une solide formation musicale était l’ami de Debussy. Il lui avait soumis deux livrets d’opéra, d’abord un Siddartha puis un Orphée-Roi que le compositeur n’a malheureusement pas mis en musique. L’Exote donc, pour qui les civilisations lointaines étaient pays fertile a en quelque sorte désinhibé mes apories. Les percussions orientales mises en vibration dans mon œuvre pourraient être le topique de l’exotisme. Mais j’avais, en amont, désexotisé ces instruments : le kulingtang philippin dans 3 œuvres (en 1971, 1973, 1999), et les bols rins, objets rituels japonais dans mon cycle des Mandorles, - un hommage à Mallarmé -. Ces instruments sont utilisés selon les techniques occidentales, donc détournés. La démarche du compositeur pouvait ainsi rejoindre celle du poète. Dans les Stèles occidentées, on entend un tambour amérindien lakota qui nous perd encore davantage. Le cor de basset, richement illustré par Mozart et Strauss, sonne ici comme un shakuhachi ou un shô et la tessiture du soprano est aux confins…
Il n’était pas question de mettre en musique les 64 Stèles de Segalen. Mes choix se sont néanmoins imposés très vite et c’est en tout sur 19 poèmes que j’ai travaillé. Un Prélude et un Postlude encadrent les paroles comme deux stèles sans inscription. Un extrait des Bois Gravés, livre pour piano inspiré du graveur David Kieffer prend, en interlude, naturellement sa place ici : elle évoque Segalen effectuant des empreintes des calligraphies des stèles Ming. Pour en conserver la mémoire.
Détlef Kieffer
A la lecture, à la manducation même, ce sentiment de glisser, éperdument: la préhension d’un poème, un jour. Le lendemain, il se dérobe, il glisse, me mène ailleurs, me laissant un peu de glèbe et ainsi de suite, comme une mise en abîme : la Licorne me mène je ne sais plus où… Arrêter cette fuite, lui donner une fin en offrant au texte peau et chair ? Les mots prenant le risque de la parole incarnée ?
Curieusement, le projet s’est inscrit dans ma période chinoise : création récente de Clameurs à Hongkong, Pékin et Shanghai, un projet d’opéra sur Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau. Mais pour Segalen, comme pour Mirbeau, la Chine est allégorie. De la société pour l’un, de l’Empire de soi pour l’autre.
Les Stèles n’apparaissant chinoises qu’au lecteur pressé.
Et Segalen inventa ce mot : l’Exote. Lui qui détestait l’exotisme et ses facilités vulgaires avait, par ce néologisme, coagulé le sens de sa démarche créatrice : l’Altérité est ontologiquement Divers.
C’est l’Exote qui m’affranchit de l’affirmation du poète : … ne réclament point la voix ou la musique. (mais on connaît l’interdiction, maintes fois transgressée, de Hugo : défense de déposer de la musique le long de mes vers !)
Avant moi, Migot, Ibert, Tansman, Hersant avaient déposé de la musique le long de… quelques fragments de Stèles. Segalen, qui avait eu une solide formation musicale était l’ami de Debussy. Il lui avait soumis deux livrets d’opéra, d’abord un Siddartha puis un Orphée-Roi que le compositeur n’a malheureusement pas mis en musique. L’Exote donc, pour qui les civilisations lointaines étaient pays fertile a en quelque sorte désinhibé mes apories. Les percussions orientales mises en vibration dans mon œuvre pourraient être le topique de l’exotisme. Mais j’avais, en amont, désexotisé ces instruments : le kulingtang philippin dans 3 œuvres (en 1971, 1973, 1999), et les bols rins, objets rituels japonais dans mon cycle des Mandorles, - un hommage à Mallarmé -. Ces instruments sont utilisés selon les techniques occidentales, donc détournés. La démarche du compositeur pouvait ainsi rejoindre celle du poète. Dans les Stèles occidentées, on entend un tambour amérindien lakota qui nous perd encore davantage. Le cor de basset, richement illustré par Mozart et Strauss, sonne ici comme un shakuhachi ou un shô et la tessiture du soprano est aux confins…
Il n’était pas question de mettre en musique les 64 Stèles de Segalen. Mes choix se sont néanmoins imposés très vite et c’est en tout sur 19 poèmes que j’ai travaillé. Un Prélude et un Postlude encadrent les paroles comme deux stèles sans inscription. Un extrait des Bois Gravés, livre pour piano inspiré du graveur David Kieffer prend, en interlude, naturellement sa place ici : elle évoque Segalen effectuant des empreintes des calligraphies des stèles Ming. Pour en conserver la mémoire.
Détlef Kieffer
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